Le
bouquet sous la croix
D'où vient-il ce bouquet oublié sur la pierre ?
Dans l'ombre, humide encor de rosée, ou de pleurs,
Ce soir, est-il tombé des mains de la prière ?
Un enfant du village a-t-il perdu ces fleurs ?
Ce soir, fut-il laissé par quelque âme pensive
Sous la croix où s'arrête un pauvre voyageur ?
Est-ce d'un fils errant la mémoire naïve
Qui d'une pâle rose y cacha la blancheur ?
De nos mères partout nous suit l'ombre légère ;
Partout l'amitié prie et rêve à l'amitié ;
Le pèlerin souffrant sur la route étrangère
Offre à Dieu ce symbole, et croit en sa pitié !
Solitaire bouquet, ta tristesse charmante
Semble avec tes parfums exhaler un regret.
Peut-être es-tu promis au songe d'une amante :
Souvent dans une fleur l'amour a son secret !
Et moi j'ai rafraîchi les pieds de la Madone
De lilas blancs, si chers à mon destin rêveur ;
Et la Vierge sait bien pour qui je les lui donne :
Elle entend la pensée au fond de notre coeur !
Marceline Desbordes-Valmore
(1786-1859)
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Le
Pont
J'avais devant les yeux les ténèbres.
L'abîme,
Qui n'a pas de rivage et qui n'a pas de cime,
Etait là, morne, immense ; et rien n'y
remuait.
Je me sentais perdu dans l'infini muet.
Au fond, à travers l'ombre, impénétrable
voile,
On apercevait Dieu comme une sombre étoile.
Je m'écriais : - Mon âme, ô mon âme ! il
faudrait,
Pour traverser ce gouffre où nul bord
n'apparaît,
Et pour qu'en cette nuit jusqu'à ton Dieu tu
marches,
Bâtir un pont géant sur des milliers
d'arches.
Qui le pourra jamais ? Personne ! O deuil !
effroi !
Pleure ! - Un fantôme blanc se dressa devant
moi
Pendant que je jetai sur l'ombre un œil
d'alarme,
Et ce fantôme avait la forme d'une larme ;
C'était un front de vierge avec des mains
d'enfant ;
Il ressemblait au lys que la blancheur
défend ;
Ses mains en se joignant faisaient de la
lumière.
Il me montra l'abîme où va toute poussière,
Si profond que jamais un écho n'y répond,
Et me dit : - Si tu veux, je bâtirai le pont.
-
Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière.
- Quel est ton nom ? lui dis-je. Il me dit :
- La prière.
Victor Hugo, Les Contemplations
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